Implications et perspectives de gestion sécuritaire à la suite du retrait du Burkina Faso, du Mali et du Niger de la CEDEAO.

Implications et perspectives de gestion sécuritaire à la suite du retrait du Burkina Faso, du Mali et du Niger de la CEDEAO.

Par Abdoul Razak Gazibo, juriste, spécialiste en paix et sécurité et co-fondateur de Nazari think-tank.

Le Sahel est un espace qui a longtemps été confronté à des crises politiques, à l'instabilité et une insécurité croissante. Dans cet espace, les pays du sahel, et particulièrement ceux du Liptako Gourma, notamment le Burkina Faso, le Mali et le Niger, font face à des conflits armés de plus en plus violents, alimentés le plus souvent par des groupes terroristes. L’analyse de la typologie de la menace terroriste par le prisme des acteurs fait apparaitre des acteurs transnationaux hybrides: acteurs d’un djihad international, acteurs d’une criminalité transnationale organisée; (NOTE D’ANALYSE N° 02 | FES PSCC). Les citoyens de ces pays, ont vu leur mode de vie remise en question par ces phénomènes, accentués par la présence d’acteurs transnationaux tels que Boko Haram, le groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM), le front de libération du Macina (FLM), Al-Qaida. 

C’est dans ce contexte que, le 28 janvier 2024, le Burkina Faso, le Mali et le Niger réunis au sein de l’Alliance des Etats du Sahel (AES) ont annoncé leur retrait de la Communauté Économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO). Une année après cette annonce, le retrait est devenu effectif comme consacré par l'article 91 du traité révisé de la Cédéao qui dispose que l'Etat qui souhaite se retirer de l'organisation doit notifier "par écrit, dans un délai, d'un an, sa décision au Secrétaire Exécutif qui en informe les Etats Membres. A l'expiration de ce délai, si sa notification n'est pas retirée, cet Etat cesse d'être membre de la Communauté." Cette décision de l’Alliance devenue effective le 28 janvier 2025, résonne profondément dans le contexte géopolitique et sécuritaire de la région. 

Pour rappel, ce retrait a été motivé par des considérations politiques, notamment en réponse aux tensions exacerbées entre ces pays et la CEDEAO, particulièrement après le coup d'État intervenu au Niger en juillet 2023. Cependant, les implications de cette décision vont bien au-delà du cadre politique, économique ou commercial. Elles concernent aussi la sécurité, la coopération régionale et la gestion des crises qui secouent le Sahel. Ce retrait entraîne des remises en question sur la manière de gérer les menaces sécuritaires dans la région, tout en exacerbant les défis existants. Cette note se donne alors comme impératif d'explorer les conséquences de cette décision sur la sécurité régionale et les perspectives de gestion sécuritaire. 

Quel pourrait être alors l'impact d'un "AESxit" sur la coopération régionale en matière de sécurité ?

L'idée de "l'AESxit"dans ce contexte fait référence à la décision des pays membres de l'Alliance des États du Sahel de se retirer de la CEDEAO, sur un modèle similaire au Brexit, qui désigne la sortie du Royaume-Uni de l'Union Européenne. 

Le parallèle est établi sur l'idée que, tout comme le Royaume-Uni a décidé de quitter l'UE en 2016 en raison de divergences politiques, économiques, sécuritaires et sociales, les trois pays du Sahel pourraient envisager une sortie de la CEDEAO pour des raisons plus ou moins similaires. 

En l’espèce, l’AESxit pourrait refléter un désir ‘’souverainiste’’ de ces pays de reprendre davantage de contrôle sur leurs politiques internes et régionales, ou de s'éloigner de l'influence d'autres pays ou institutions qui auraient trop d'impact sur leurs décisions. 

Ce retrait, représente une décision lourde de conséquences pour la stabilité de la sous-région et pour la lutte contre le terrorisme.L’article 58 du Traité révisé de la CEDEAO, relative à la sécurité régionale, dispose que : « Les Etats Membres s'engagent à œuvrer à la préservation et au renforcement des relations propices au maintien de la paix, de la stabilité et de la sécurité dans la Région ». Le principal risque de cette rupture est sans doute l'affaiblissement de la coopération en matière de sécurité. En décembre 2019, la CEDEAO avait adopté et mis en place plusieurs dispositifs régionaux de lutte contre le terrorisme, dont le ‘’plan d’action 2020-2024’’, un projet ambitieux visant à ‘’éradiquer le terrorisme dans l’espace régional’’. Ce plan s’appuyait sur la coopération entre les États membres, notamment le partage de renseignements, la lutte contre le financement du terrorisme, la formation des forces de défense et de sécurité, ainsi que les interventions militaires conjointes. 

Cependant, ce plan a été limité dans ses résultats, en grande partie à cause du manque de ressources et de la faible volonté politique des États membres. Une fois de plus il serait question de se demander comment une organisation puisse évaluer des menaces et ne pas pouvoir y faire face par ses propres moyens mais toujours en attente d’aides extérieurs, qui le plus souvent viennent avec des conditions parfois contraignantes. L’abandon progressif de ce plan, suite aux tensions entre la CEDEAO et les trois pays du Sahel, marque un tournant. La capacité de la CEDEAO à coordonner des actions efficaces contre le terrorisme est désormais fragilisée par la sortie du Mali, du Burkina Faso et du Niger. Ces pays étaient non seulement des acteurs clés dans la mise en œuvre de ces initiatives mais ils étaient surtout des pays de front combattant directement le terrorisme depuis plus de 10 ans. 

Le retrait de ces pays de la CEDEAO pourrait ainsi entraîner une désarticulation des efforts régionaux de lutte contre le terrorisme, augmentant ainsi la vulnérabilité des pays de la sous-région face aux menaces transnationales. Cette situation pourrait également compliquer la coopération avec des partenaires internationaux. 

La rupture fragilise non seulement l’architecture de sécurité, mais crée également un vide sécuritaire que d’autres acteurs régionaux ou internationaux pourraient avoir du mal à combler efficacement. La coordination des efforts contre les groupes terroristes, tels que Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) ou l’État islamique au Grand Sahara (EIGS), risque de devenir moins fluide et plus fragmentée, car les pays du Sahel, désormais isolés sur le plan diplomatique et sécuritaire habituel, risquent de concentrer leurs efforts uniquement sur leurs propres priorités nationales, sans prendre en compte la dynamique sous-régionale. 

L’AESxit expose également la région à un risque accru d'extension de la menace terroriste vers d’autres pays de l’Afrique de l’Ouest, qui étaient jusque-là relativement épargnés. Le Golfe de Guinée, par exemple, bien qu’il soit davantage confronté à des menaces de piraterie maritime, de trafic de drogues, et de traite des personnes, pourrait se voir entraîner dans un cycle de violence de plus en plus complexe et interconnecté. L'attaque meurtrière qui a frappé le Bénin récemment, tuant plus de 25 personnes, en est un exemple frappant. Cette première attaque terroriste dans un pays qui semblait relativement à l’abri du terrorisme a choqué la sous-région et souligné la vulnérabilité croissante des pays côtiers face à la propagation du djihadisme. 

Il faut rappeler que l’attaque sur le sol béninois est consécutive à celle déjà enregistrée contre un poste militaire togolais en mai 2022, au nord du pays, et qui révélait dès lors, l’extension de l’influence des groupes terroristes vers les pays voisins du Sahel. Si la coordination au sein de la CEDEAO est affaiblie, ces attaques pourraient devenir plus fréquentes et plus violentes, créant un cercle vicieux où les pays de l'Afrique de l’Ouest seront de plus en plus confrontés à des menaces multiples. 

Face à la rapide dynamisation de la situation et la recomposition géopolitique de l’espace régional, l’AES et la CEDEAO se retrouvent dans une position délicate : celle de repenser leurs stratégies sécuritaires respectifs tout en écartant pas la possibilité de co-gestion et de lutte contre les menaces sécuritaires dans l’espace ouest africain, puisque partageant des défis et un destin qui ne sont pas distincts. 

Toutefois, il convient de souligner que les futures relations ou coopérations notamment dans le domaine de la sécurité, entre l'AES et la CEDEAO risquent d'être tendues en raison des partenaires respectifs de chaque organisation. En effet, des puissances étrangères, parfois en concurrence directe, interviennent souvent dans la région, ce qui pourrait entraîner des affrontements par procuration entre l’AES et la CEDEAO. Il sera donc crucial d'observer comment cette cogestion sécuritaire entre l’AES et la CEDEAO pourrait se concrétiser, alors que des puissances étrangères, toujours alliées de la CEDEAO, sont désormais considérées comme indésirables par les pays de l'AES, qui les accusent fréquemment de laxisme face au terrorisme, voire de connivence. Au regard du contexte, une définition claire des relations entre les deux organisations, via une approche essentiellement régionale, basée sur les ressources humaines et matérielles des pays de l'AES et de la CEDEAO peut être une solution aux différents obstacles précités. 

A cet effet, une future collaboration ne pourrait-elle pas être envisagée avec la mise en place d'une plateforme de coordination sécuritaire qui pourrait regrouper des autorités compétentes des deux entités ? Cela, permettrait d’harmoniser leurs stratégies de lutte contre l’insécurité de manière générale. Si une telle approche était adoptée par les deux parties, cette plateforme stratégique pourrait permettre une synergie des efforts avec in fine, la création d'une force conjointe régionale, composée exclusivement de troupes locales, et aussi d'intensifier les échanges de renseignements entre les autorités compétentes dévolues à cette tâche. A long terme, une collaboration concrète pourrait résider dans la mise en place d’une nouvelle architecture de sécurité régionale, qui permettrait aux pays de l’AES et de la CEDEAO de maintenir une gestion objective et effective de la sécurité dans la région.    

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