L'AES, vers la construction d’une autonomie en matière de sécurité collective.

L'AES, vers la construction d’une autonomie en matière de sécurité collective.

Par: Abdoul Kader NAMATA ISSA, chercheur en Science Politique, Co-fondateur Think-Tank NAZARI.

Les Etats sahéliens sont confrontés, depuis quelques décennies, à de multiples menaces sécuritaires qui sont à l’origine de l’instabilité politique et sécuritaire de la région, et, qui affectent les populations avec des déplacements massifs. Les menaces sous-régionales sont des défis sécuritaires qui déstabilisent plusieurs pays du Sahel. Elles sont d’ordres politiques, économiques, sociales ou environnementales et nécessitent des actions communes de la part des Etats pour y faire face. C’est dans cette optique que le 16 septembre 2023, les 3 pays du Sahel, tous sous régime militaire, à savoir le Burkina Faso, le Mali et le Niger ont formés une confédération dénommée Alliance des Etats du Sahel (AES).

Cette alliance stratégique vise comme objectif principal, le renforcement de la coopération en matière de sécurité et de défense en réponse à l’ingérence extérieure d’une part et d’autres parts, aux défis sécuritaires croissants dans la zone dite des trois frontières, marquée par l’insécurité transfrontalière, les menaces des groupes terroristes, l’instabilité politique et des tensions géopolitiques. L’AES se veut une alliance souverainiste et autonome qui se détache progressivement des alliances traditionnelles comme la CEDEAO ou le G5 Sahel et de certaines puissances extérieures avec lesquels est sous-traitée la question sécuritaire durant des décennies.

La présente contribution jette les réflexions sur la possibilité pour les Etats africains de prendre en charge la sécurisation de leur espace en toute souveraineté, à travers le cas de l’AES. Nous basons notre démarche sur la théorie du complexe régional de sécurité qui considère les régions comme un ensemble interagissant les uns avec les autres où les questions d’insécurité sont étroitement liées (Buzan, 2000).

Les théoriciens du Complexe Régional de Sécurité estiment que les problèmes sécuritaires des États dépendent étroitement de leur voisinage immédiat. De ce fait, conformément au traité portant création de la Confédération de l’AES, l’article 5 prévoit que « les Etats s’engagent à coopérer en matière de défense et sécurité ; de coordonner leur  diplomatie ; coopérer en matière de progrès économique ». Face à cette complexité, la proximité géographique de ces Etats les condamnent à coopérer face aux menaces sécuritaires au risque d’être d’avantage fragilisés par les conflits qui menacent leur survie dans la mesure où, pour certains analystes, c’est même l’ordre démocratique de ces Etats qui est menacé par le défi sécuritaire (Saidou, 2024).

Les stratégies endogènes de lutte contre l´insécurité établie au niveau local par les Etats de l’AES, dans le cas du Complexe Régional de Sécurité, met l’accent sur leur propres efforts, pensées, prônés par l’élan souverainiste. Et la réponse principale à cette insécurité transfrontalière dans la région du Liptako-gourma repose sur « la régionalisation » en matière de gestion des conflits (Amandine, Gnanguenon, 2005), orientée vers le postulat de la sécurité collective. La sécurité collective signifiait, dans l’esprit de Woodrow Wilson, une communauté et non un équilibre de puissance, une paix commune et non des rivalités organisées. Elle se fonde sur « un arrangement systématique d’engagements et de mécanismes garantissant une réponse coordonnée de tous les Etats en cas d’agression par un ou plusieurs d’entre eux » (Claude, 1993).

La proximité géographique et les liens culturels et historiques qui lient les Etats de l’AES les amènent donc à plus de coopération pour apporter des réponses communes faces aux défis sécuritaires qu’ils vivent au quotidien. Dans cette démarche souverainiste, la sécurité coopérative est avantageuse à long terme, dans la mesure où les Etats parviennent à l’asseoir sur des bases institutionnelles et multilatérales (Larsen, 2002, 2010). Elle peut même encourager la création de communautés de sécurité, comme le conçoit l’école constructiviste (Ruggie, 1996 ; Buzan et Waever, 2003). Elle contribue à forger des identités et des communautés de sécurité. Bref, la croissance des institutions nourrit la régionalisation embryonnaire d’un système de sécurité collective (Buzan et waever, 2003).

L’approche de la sécurité collective sur laquelle est fondée l’AES est un principe selon lequel plusieurs Etats ou acteurs s’engagent à assurer la paix et la sécurité en coopérant contre les menaces communes. Le concept développé par la sécurité collective repose sur le fait qu’une agression contre un Etat membre est une menace pour toute l’organisation. Aussi, "le principe de la sécurité collective, c’est une variante de la devise des Trois Mousquetaires : un pour tous, tous pour un (en cas de légitime défense), un pour tous, tous contre un (en cas de mesure coercitives) (David, 2005)". C’est dans ce sens que le Burkina Faso et le Mali ont apporté un soutien logistique et militaire au Niger face à la menace d’intervention militaire de la CEDEAO, acte qui a nécessité la création de l’AES et qui a contribué à dissuader toutes menaces d’agression contre le Niger.

L’AES est donc un modèle endogène de sécurité sous-régionale qui se détache des mécanismes de prévention, de gestion des conflits et de lutte contre les menaces communes mis en place par des organisations comme la CEDEAO ou le G5 Sahel, qui se sont caractérisés par leur inefficacité sur les théâtres des opérations du fait du manque de soutien financier et des multiples ingérences des grandes puissances.

L’approche collaborative et intégrée de l’AES est essentielle pour répondre efficacement à toutes ces menaces et aussi pour préserver la survie des Etats membres à travers la promotion de l’autonomie en matière de sécurité et de développement comme prescrit par la charte, longtemps sous-traité avec les puissances étrangères.

Cette approche est donc le fruit de l’émergence d’intérêts communs de sécurité (Gervais et Roussel, 1998,). Les politiques de défense et de sécurité, dans un contexte d’interdépendance, doivent donc être élaborées sur une base commune en mettant un accent particulier sur la dimension humaine de la sécurité (Buzan, 1991) qui met l’être humain au cœur de la problématique sécuritaire. Aussi, la sécurité collective doit également servir la cause des interventions d’humanité. Celles-ci visent à imposer certains principes au niveau planétaire, pour lesquels aucune souveraineté n’est hors d’atteinte de leur portée juridique, du moins en théorie. En ce sens, selon la doctrine de la sécurité humaine et de la « responsabilité de protéger », « les régimes de sécurité collective sont tenus de protéger les individus en dénonçant les abus des droits humains comme violation internationales » (Cronin, 1998).

Pour atteindre cet objectif de faire de la sécurité un bien commun, il est important pour les Etats de l’AES de procéder à des stratégies de réactions collectives en coordonnant les réponses et les efforts de sécurité face aux menaces pour une question d’efficacité. Il sera également question d’accompagner cette initiative de sécurité collective par le renforcement et l’unification du cadre de la formation militaire de l’AES en tenant compte du contexte sahélien afin de propulser l’interopérabilité des forces de l’AES, voir la concrétisation d’une armée unique. De même, l’adoption d’une politique de défense et de sécurité commune coordonnée par un même Etat major des opérations qui assurera la coordination d’un même système intégré de défense et de sécurité commun, un même système de communication et de renseignement.

Ces initiatives permettront de restructurer et d’harmoniser l’architecture de défense et de sécurité en l’adaptant au contexte et réalité de l’espace AES. Il serait aussi intéressant de développer une ingénierie militaire pour les pays de la confédération afin de promouvoir la capacité endogène sur la production des équipements militaire ; d’asseoir une cohérence diplomatique dans le but d’instaurer une même politique étrangère et de coopération pour l’AES afin de renforcer la diplomatie et de parler d’une même voix sur le plan international. 

L’instauration d’une bonne gouvernance et particulièrement celle du secteur de la sécurité et d’une justice sociale peuvent contribuer à la réussite de cette entreprise de gestion autonome de la sécurité collective des Etats de l’AES en garantissant son autofinancement. En effet, asseoir la bonne gouvernance dans le domaine sécuritaire est une étape cruciale qui favorise la redevabilité et le contrôle démocratique longtemps caractérisé par une mauvaise gouvernance et ses conséquences sur la lutte contre l’insécurité. La création d’un climat de confiance entre les forces de défense et de sécurité et la population au nom de laquelle la lutte pour l’insécurité est menée peut propulser l’engagement citoyen au côté des forces de défense et de sécurité engagés sur le front.

Ces aspects vont contribuer à ancrer l’acceptation de la sécurité comme bien public commun au niveau de la population et aussi de renforcer le cadre de sécurité collective par une meilleure collaboration entre les différents acteurs de la sécurité à tous les niveaux. Accompagner ces actions de défense par des programmes de développement socio-économiques qui prendra en charge la sécurité humaine des citoyens afin qu’ils soient occupés économiquement pour être à l’abri de toute instrumentalisation par les groupes armées non étatiques.

La sécurité sous-régionale est un niveau intermédiaire entre la sécurité nationale et la sécurité collective mondiale, visant à répondre plus efficacement aux crises locales tout en renforçant l’intégration régionale. Dans ce cas de figure, la perspective d’une construction endogène de sécurité collective harmonisée par la confédération AES peut servir de modèle pour les autres organisations régionales et sous régionales condamnées par le lien du voisinage à mutualiser leurs efforts afin de combattre l’insécurité qui menace la survie des Etats africains. En effet, les Etats pris individuellement sont confronter à d’importants obstacles et difficultés face aux réseaux criminels, aux groupes terroristes et autres menaces contemporaines. Il est donc essentiel de mettre en place une synergie d’action, où les États riverains dépassent leurs divergences d’intérêts particuliers au profit d’une collaboration sincère et mutuellement bénéfique.

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