Le tirage au sort, une alternative pour la mise en place du parlement de transition ?

Le tirage au sort, une alternative pour la mise en place du parlement de transition ?

Par Abdoul Kader NAMATA ISSA, Chercheur en Science Politique, Co-fondateur Nazari Think-Tank.

Le 26 juillet 2023, des Officiers des Forces de Défense et de Sécurité (FDS), réunis au sein du Conseil National pour la Sauvegarde de la Patrie (CNSP), ont pris le pouvoir par un coup d’État. Dans le communiqué N°1, les militaires ont suspendus la constitution et les institutions qui en sont issues, comme dans la tradition des coups d’Etats au Niger.

Dans ce contexte, une ordonnance n°2023-02 du 28 juillet 2023 portant organisation des pouvoirs publics pendant la période de transition a été signée le 14 août 2023, par le président du CNSP. Cette ordonnance a prévu la mise en place des institutions chargées de garantir le fonctionnement de la transition.

Cependant, parmi les institutions prévues par la charte de la transition, seul le CNSP et la Cour d’Etat sont fonctionnels. Les autres organes de la transition tels que l’Observatoire Nationale des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales (ONDHLF), l’Observatoire National de la Communication (ONC) et le Conseil Consultatif National (CCN) qui fait office de parlement de transition tardent à être installés.

En effet, dans les pratiques des transitions militaires au Niger, ces institutions sont automatiquement installées, quelques mois après l’adoption de l’ordonnance afin de garantir un meilleur fonctionnement des pouvoirs publics. La particularité de cette transition est qu’elle n’a pas bénéficié le soutien et de la bénédiction des organisations régionales et internationales et même de certaines puissances du fait de la spécificité du coup d’Etat survenue sans une crise politico-institutionnelle majeur.

Au-delà des condamnations de principes de la part des institutions internationales, une batterie des sanctions sont prononcées à l’endroit du Niger notamment, la fermeture des frontières, la suspension de la fourniture du courant éclectique, un blocus sur le transit des marchandises et médicaments, le gel des avoirs. A cela s’ajoute la menace d’une intervention militaire conduite par la CEDEAO avec le soutien de certaines puissances étrangères (qui s’appuient sur certains Chefs d’Etats de la CEDEAO) dans le but de déloger les militaires au pouvoir. En plus de la crise sécuritaire, ces menaces peuvent être un facteur explicatif du retard dans la mise en place de ces institutions et de l’absence d’un agenda précis de la transition du fait de l’orientation des priorités.

Le fonctionnement des institutions de la transition constituant un grand pas dans la détermination des axes stratégiques devant conduire au retour à l’ordre constitutionnel normal, notamment sur la durée. La présente réflexion se veut une contribution en vue de la mise en place du CCN annoncé plusieurs fois par les autorités de la transition mais qui tarde à se réaliser malgré son importance. Dans cette optique, le Président du CNSP a, en son adresse à la nation du 19 aout 2023, annoncé la tenue d’un dialogue national inclusif préalable à l’installation du CCN et qui aura pour mission de déterminer les orientations stratégiques de la transition. C’est ainsi qu’il est demandé aux acteurs des différentes régions et de la diaspora de proposer des mémorandums en ce sens.

Dans cet élan de la refondation, et dans le but de rompre avec les pratiques antérieures d’installation et de gestion des organes de transition, en ce qui concerne le parlement, une alternative s’offre au CNSP, celle de procéder à la cooptation par tirage au sort des députés de la transition. Cette option peut être une réponse pour contourner le clientélisme politique et l’avènement des multiples entrepreneurs politiques et autres courtisans qui tournent autour de la junte au pouvoir. En effet, beaucoup d’acteurs qui soutiennent la transition considèrent la prise du pouvoir par l’armée comme une opportunité qui favorisera leur ascension sociale et politique, comme c’est le cas avec les transitions précédentes. L’usage du tirage au sort en politique peut s’exercer dans des situations où son utilisation permet à un groupe de prendre des décisions ou de désigner des responsables.

Cette démarche s’inscrit dans une perspective à la fois égalitaire et libérale qui ne favorise aucun candidat et rend vaine toute tentative de corruption et d’abus de pouvoir. Le tirage au sort fait référence à un processus où les représentants ou les membres d’un groupe sont choisis de manière aléatoire, en lieu et place des élections classiques. Dans le cadre de cette démarche souverainiste et par souci de faire du CCN une Assemblée citoyenne indépendante, le tirage au sort offre une alternative par laquelle les membres sont sélectionnés de manière aléatoire pour représenter la population sur des enjeux spécifiques mais surtout de réduire l’influence partisane et d’éviter le favoritisme, en donnant à chaque individu une chance d’être tiré.

Le tirage au sort est une pratique ancestrale, de la Grèce antique, de sélection par le hasard, dont son utilisation connaît une recrudescence qui peut être jugée surprenante de nos jours car ayant fait l’objet d’un véritable oubli selon la logique jacques RANCIERES (J. RANCIERES, 2005). Ce qui amène des auteurs comme Gil DELANNOI (G. DELANNOI, 2019) à s’intéresser à cette technique de décision et aux possibilités d’utilisation qu’elle offre aujourd’hui. En plus, Machiavel dans son maitre livre Le Prince écrivait que « Le hasard gouverne la moitié de nos actions et en laisse à peu près l’autre moitié en notre pouvoir ». (N. Machiavel, 1532). Et, pour Jean Courant, « l’acte de tirage au sort » permet dans de nombreux pays de résoudre des situations d’égalité de voix entre candidats lors d’élections (COURANT, 2019).  

Au Niger, par exemple, l’élection du maire peut se faire par tirage au sort en cas d’égalité de voix et d’âge entre plusieurs candidats (Art 53 du CGCT). En effet, dans le cadre de cette gouvernance temporaire, avant de restaurer l’ordre constitutionnel normal, le tirage au sort des députés est une méthode qui peut être envisagée pour éviter les tensions politiques et garantir une certaine représentativité du peuple en limitant les magouilles et l’influence de certains acteurs internes et externes au système ainsi que de préserver l’indépendance et l’autonomie des parlementaires de la transition.

Au-delà, il s’agit d’éviter la routinisation dans l’exécution des agendas de la transition (A.K. SAÏDOU, 2020) en évoquant les véritables questions d’intérêts nationaux à court, moyen et long terme. Toutes choses qui permettront aux dirigeants du CNSP d’être attentifs aux mouvements pléthoriques et opportunistes de soutien qui attendent une récompense. Cette alternative est donc une occasion de rompre avec le schéma traditionnel d’installation de parlement de transition. Aussi, compte tenu du temps, la procédure du tirage au sort est facile, rapide, économique pour la sélection des membres du CCN. Elle sert d’alternative pour les autorités de transition de procéder à la mise en place rapide de cet organe stratégique pour le bon fonctionnement de la transition en favorisant une participation citoyenne inclusive. Il est également un atout pour répondre aux objectifs de la refondation et de la souveraineté car limite diverses manœuvres qui caractérisent les autres formes de désignation : déclarations, communications, jeux d’influences et toute autre stratégie ouverte ou cachée.

La notion de transparence-ou d’opacité- n’a plus de sens quand on recourt au tirage. Cette méthode n’afflige personne ou groupes de personnes selon Montesquieu. La sélection aléatoire permet d’impliquer un échantillon plus ou moins représentatif de citoyens « ordinaires » dans la vie politique. Le fait pour des citoyens tirés au sort de ne pas être partisan d’un parti politique ou d’un groupe de pression accroîtrait également leur indépendance de jugement. Une telle assemblée serait débarrassée des effets négatifs sur la délibération sur la base d’influence quelconque dans la mesure où les citoyens tirés au sort savent que leur sélection ne résulte pas d’une récompense, qu’ils n’ont pas été choisis pour être primé mais pour travailler pour le compte de la nation en ayant à l’esprit l’intérêt général

En résumé, le tirage au sort est un outil qui peut être utile dans certaines situations, telles que les périodes de transition militaire car il favorise la participation citoyenne à travers des véritables débats de société au regard de la provenance des élus sensés représenter toutes les couches sociales. Cependant, cette méthode peut aussi poser quelques défis, notamment concernant la compétence de certains élus choisis, leur engagement envers la transition, et la question de leur capacité à prendre des décisions éclairées dans un environnement complexe. Tout de même,  ces défis peuvent être atténués par un plan d’accompagnement.

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